Histoire écrite par Valentin Dubrulle
L’école du Cèdre Bleu avait été refaite à neuf.
De grandes fenêtres, des murs peints en couleurs vives, des jeux brillants dans la cour.
Mais au fond, près du vieux grillage rouillé, il y avait encore le coin qu’on n’avait jamais touché.
Là-bas, coincé entre deux arbres, se dressait un vieux toboggan en métal, tout tordu.
Rouillé. Penché.
Avec trois marches de travers et un trou minuscule au sommet.
Les adultes disaient :
Et les enfants, eux… n’y allaient pas.
Certains disaient qu’on entendait des bruits dedans.
D’autres affirmaient que si on glissait, on n’atterrissait jamais en bas.
Que le toboggan avalait les rêves.
Ou les chaussettes.
Ou les souvenirs.
Personne ne savait vraiment.
Sauf Camille.
Camille était en CM1.
Pas très grande. Pas très forte.
Mais très curieuse.
Et surtout : elle n’aimait pas qu’on dise “n’y va pas”.
Un jour, à la récré, pendant que tout le monde jouait au ballon,
Camille s’éloigna, les mains dans les poches.
Elle traversa la cour, passa derrière les buissons,
et se planta devant le toboggan.
Il était encore plus tordu de près.
Il grinçait sans vent.
Et les feuilles mortes semblaient l’éviter.
Elle posa une main sur l’échelle.
Elle monta.
Une marche. Deux. Trois.
Arrivée en haut, elle s’assit.
Et glissa.
Tout devint noir.
Pas comme la nuit.
Pas comme quand on ferme les yeux.
Un noir profond, silencieux, doux.
Le genre de noir qui n’effraie pas… mais attend.
Et soudain, elle vit.
Pas l’école.
Pas la cour.
Un couloir de lumière.
Des dessins d’enfants qui flottaient dans l’air.
Des souvenirs oubliés, comme un goûter dans une cachette secrète.
Des rires d’anciens élèves. Des jeux inventés il y a vingt ans.
Et tout au bout, un miroir.
Dans lequel elle se vit, petite… puis plus grande.
Puis très vieille. Puis bébé. Puis elle-même.
Et une voix douce dit :
Camille prit une grande inspiration.
Et glissa de nouveau.
Le noir.
Le bruit du métal.
Le vent.
Et pouf : ses chaussures touchèrent le sol.
Elle était en bas.
Devant le toboggan.
Dans la cour.
Seule.
Elle retourna jouer.
Elle ne dit rien.
Elle ne retourna jamais au toboggan.
Mais parfois, quand elle ferme les yeux…
elle entend encore les rires anciens,
et elle sent le vent, là où il ne souffle pas.